Début février 2024, le groupe CHIRON a organisé un événement
pour dire « merci » : merci à ses collaborateurs, à ses partenaires, et à tous ceux qui ont contribué au développement de la
Micro5. De nombreux témoignages se sont succédé, mettant en
lueur l'historique, les défis, la technologie et le futur de la micromachine devant une centaine de personnes présentes.
Mais comment est née la micromachine ? Tout est parti d'un travail de réflexion d'un petit groupe mené par Valérie Briquez à la He-Arc en 2009 autour de la thématique : « À quoi ressemblera la machine du futur ? ». Un constat fort ressort des échanges : les machines-outils croient en taille alors que la taille des pièces à usiner a plutôt tendance à faire l'inverse. Idéalement, il faudrait donc adapter la taille des machines à la taille des pièces qu'elles sont destinées à fabriquer. Un axe de travail de base est alors posé : développer une machine d'usinage à grande vitesse de petite taille pour le secteur horloger.
Entretien avec Samuel Vuadens, CEO de CHIRON Swiss et Jean-Daniel Lallemand, directeur des ventes de CHIRON Swiss
Quels sont les avantages d'une micromachine par rapport aux machines disons de taille classique ?
J.-D. Lallemand : La Micro5 a été développé à l'origine pour le secteur horloger, un secteur d'activité pour lesquelles de nombreuses
petites entreprises sont actives. Tant pour des questions de place
que d'investissement financier, une micromachine donne l'opportunité à une petite entreprise de s'équiper plus facilement pour commencer ou bien développer leur offre d'usinage. En ce qui concerne
les plus grandes entreprises ou les entreprises déjà bien implantées, remplacer une machine « traditionnelle » par une micromachine permet un gain de place conséquent, permettant de réduire la
taille des ateliers et donc des coûts attenants, sans affecter les
capacités de production. Au-delà de ces aspects que l'on peut caractériser de pratiques, les micromachines comme la Micro5 offre une
très haute qualité de surface de pièce et une réduction importante
des cycles d'usinage.
Y a-t-il des réticences de la part des entreprises à passer aux micromachines ?
J.-D. Lallemand : Le monde de la machine-outil a été régi pendant des décennies par l'idée que plus la machine est lourde, plus elle sera stable et l'usinage précis. Le travail du commercial qui veut vendre une micromachine est donc d'abord de déconstruire cette croyance puis de prouver au potentiel client les avantages de la micromachine. Dans des milieux industriels parfois conservateur, la tâche peut s'avérer ardue, mais il existe désormais de nombreux témoignages d'utilisateurs qui confirment les avantages de ces machines. Dans le domaine horloger, plusieurs grands groupes testent ces machines depuis plusieurs années et sont maintenant convaincus de leurs capacités. Ceux qui se lancent avec les micromachines ne reviennent pas sur leurs pas.
S. Vuadens : Pour ceux qui émettent des doutes, j'aime souligner qu'utiliser une grande machine pour fabriquer une petite pièce représente une erreur stratégique, surtout lorsque l'on considère les aspects tels que l'efficience énergétique, le rapport entre la compacité de la machine et la taille de la pièce, ainsi que la précision et la rapidité d'exécution.
J.-D. Lallemand : J'aime également donner pour comparaison le transport d'une seule enveloppe par un 38 tonnes. S'il y a une vraie justification ou un vrai besoin derrière, ok, sinon ça ne fait clairement aucun sens. Il y a également d'autres facteurs qui entrent en compte. Les machines sont faciles à transporter et peuvent plus facilement être implantées dans des ateliers à l'étranger car leur transport est plus simple. Et qui dit machine plus petite, dit éléments plus petits, ce qui peut être un avantage au niveau du service et de la manutention. Une personne seule peut changer une broche sur une micromachine. Il y a donc des avantages et des économies à différents niveaux.
Alors la Micro5 est l'une des micromachines disponibles sur le marché, en quoi se détache-t-elle des autres ?
S. Vuadens : Notre avantage au niveau des micromachines est le fait que nous soyons les pionniers. Vis-à-vis des autres détenteurs de licence mise à disposition par la He-Arc, nous sommes technologiquement parlant équivalent. Les machines se distinguent sur leur conception générale en termes de design par exemple, mais leur dynamique est la même. La grosse différence qui place la Micro5 en pole position est l'investissement qui a été et est toujours fait sur cette machine. Nous sommes les premiers à avoir industrialisé la fabrication d'une micromachine et nous en avons déjà vendu 150. Nous possédons donc déjà une expérience importante et grandissante. Et puis évidemment, l'assise du groupe CHIRON a été un tremplin pour l'avènement de la Micro5.
Qu'a apporté concrètement le rachat de Mecatis par le groupe CHIRON ?
S. Vuadens : L'intégration de Mecatis dans le groupe CHIRON en tant que CHIRON Swiss a permis d'avoir accès à des ressources financières et humaines importantes, ainsi qu'à un réseau de vente établi. Comme il a été mentionné ce matin, ce sont ces trois aspects qui vont faire la différence pour transformer une invention en une innovation viable et rentable. Je voulais développer la Micro5 en partenariat depuis le départ et j'ai trouvé avec CHIRON l'opportunité parfaite.
Vous avez mentionné que 150 machines ont déjà été vendues, avez-vous une estimation de vente attendue pour 2024 ?
S. Vuadens : Notre objectif de ventes pour 2024 s'élève à 100 machines, et nous anticipons une croissance des ventes dans les années suivantes. En effet, dès 2016, de nombreux acteurs du secteur de la microtechnique ont reconnu les avantages de cette technologie et ont différé leurs investissements, attendant que les tests sur les premières machines démontrent leur fiabilité et performance continues, fonctionnant sans interruption 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
J.-D. Lallemand : Jusqu'à récemment, je prenais les devants et j'allais chez de potentiels clients pour parler de leurs besoins et leur faire l'apologie des micromachines. Désormais, ce sont les entreprises, donc beaucoup de petite taille, qui me contactent pour se renseigner. Clairement, les mentalités changent. En outre, je remarque qu'un premier achat de Micro5 entraîne relativement rapidement l'achat d'une ou plusieurs machines supplémentaires. En effet, les pièces fabriquées sur la micromachine ont souvent un état de surface meilleur que celles fabriquées sur les autres machines, et le temps de cycle sur la micromachine est plus court. Le fait que les clients fassent eux-mêmes l'expérience de ces avantages est le meilleur argument de vente.
Offrez-vous une personnalisation de la Micro5 ?
S. Vuadens : Notre objectif est précis : nous visons à maintenir une machine dont la configuration correspond aux fonctionnalités que nous avons établies. Actuellement, il y a une quinzaine d'options disponibles. Toutefois, nous sommes ouverts à développer de nouvelles fonctionnalités, à condition qu'un volume estimé de 50 machines soit atteint pour justifier l'effort d'entretien et d'amélioration de ces nouvelles capacités.
Où sont fabriquées les Micro5 ?
S. Vuadens : Les Micro5 sont fabriquées en interne, dans les locaux du groupe CHIRON à Tuttlingen. Pour produire en Suisse, nous aurions eu besoin d'embaucher une trentaine de polymécaniciens, une utopie dans les conditions actuelles. C'est la raison principale pour laquelle la production se fait en Allemagne, bien qu'il soit également évident que travailler en euros au niveau de la fabrication est intéressant d'un point de vue financier.
Quelles sont donc les activités de CHIRON Swiss ?
S. Vuadens : En Suisse, nous nous concentrons sur la vente et les services. Beaucoup de clients veulent de la clé en main. Une machine vendue sur deux est destinée à la production d'un produit spécifique seulement. Le développement de l'application et la mise en marche d'une telle machine demande quasiment le double du temps que le simple montage de la machine de base en usine. En outre, nous formons nos clients à l'utilisation de la machine. Cette tendance nous a fait passer de 10 à 30 personnes en deux ans pour le développement des applications machines, et nous cherchons encore du monde, en Valais, à Yverdon, et surtout en Suisse allemande.
Vous êtes donc fortement affectés par le manque de main d'œuvre…
S. Vuadens : Oui, tant au niveau applications que fabrication. Nous espérons que la situation en Allemagne de se dégradera pas, mais pour l'instant il est plus facile de trouver des polymécaniciens là-bas qu'ici. Un des problèmes que nous rencontrons dans le monde de la machine-outil, c'est l'exil des polymécaniciens vers nos clients, en particulier les groupes horlogers, qui ont des produits qui font rêver...
J.-D. Lallemand : À ça, s'ajoute le fait que les métiers de la mécanique ont longtemps été regardé de haut par la société. Celui qui enfilait un bleu de travail pour aller travailler n'avait pas le même statut que d'autres. Or, on ne met pas n'importe qui devant une machine-outil. Ce sont des métiers qui nécessitent des connaissances et une formation adéquate. Il faut donc revaloriser les métiers de la mécanique et redorer leur blason auprès des nouvelles générations.
Quels développements sont à l'étude pour le futur de la Micro5 ?
J.-D. Lallemand : Nous recevons régulièrement des suggestions de la part de nos clients, qui après la fraiseuse se demandent si nous pourrions développer un centre de tournage, une décolleteuse, etc.
S. Vuadens : Actuellement, nous travaillons sur une version pour la fabrication de pièces légèrement plus grande. La taille des pièces et donc le volume alloué à l'usinage est une contrainte importante qui influe fortement sur la dynamique de la machine, et nous devons faire attention à garder les avantages de la micromachine, sans quoi le développement n'a plus aucun sens. Des projets d'innovation avec la He-Arc sont également en cours. Nous voulons aussi développer le côté automation de la Micro5. La force d'appartenir à un groupe nous permet de travailler et d'échanger avec différents interlocuteurs autour du globe et de profiter des synergies offertes par cette constellation.
Les prémices de la micromachine
À l'époque, le monde industriel reçoit l'idée de manière relativement sceptique, le préétabli stipulant qu'une machine légère ne peut par définition pas être précise, mais la He-Arc décide tout de même de se lancer. Il faudra néanmoins attendre 2013 et l'ouverture d'un programme de recherche à la HES-SO pour que démarre début 2014 le projet Micromac_Study de la He-Arc, financé pour un an. Le cahier des charges comportait plusieurs points, entre autres la contrainte d'une machine 5 axes pour des pièces d'un volume maximum de 50 x 50 x 50 mm, avec une précision d'usinage de 1 μm et un état de surface de 0,4 μm. À cela s'ajoutaient des contraintes environnementales et techniques comme la consommation d'énergie de la machine, ses modes de fréquence et son accélération. Résumé en une phrase, la machine devait être « aussi simple et légère que possible, aussi puissante que nécessaire », comme l'explique Claude Jeannerat, membre du projet et professeur à la He-Arc. En effet, pour que la machine se fasse une place dans le monde de la machine-outil, il faut qu'elle rende un service équivalent ou supérieur à ce qui se fait sur le marché. S'ouvre alors le premier défi : penser petit. « Passer d'une réflexion « grosse machine » à une réflexion « petite machine » n'a pas été facile », confirme Valérie Briquez, elle aussi professeure à la He-Arc et membre du projet. Après un long travail de simulation, dans une optique que l'on peut déjà qualifier d'écoconception, les résultats théoriques probant mènent à la fabrication d'un prototype, exposé au Locle en 2015, éveillant alors doucement l'intérêt général.
De l'invention à l'innovation
La Micro5 est présentée au SIAMS 2016 sur le stand de la He-Arc. À partir de ce moment-là, la nécessité de définir une ligne conductrice en termes de transfert technologique se fait sentir. La He-Arc fait le choix de partager son développement en proposant aux personnes intéressées d'acheter une licence pour développer le produit. Le 9 juin 2016, lors d'une présentation à Saint-Imier en vue de trouver des acquéreurs de licence, une main se lève : Samuel Vuadens décide de se lancer. « Mon idée était de créer un consortium d'entreprises pour le développement industriel de la Micro5, ce que j'ai fait, bien que ça n'a pas été facile de trouver des entreprises prêtes à tenter l'aventure. Une partie s'est d'ailleurs retirée assez rapidement du projet », explique Samuel Vuadens. Les 5 premières micromachines ont donc été fabriquées et vendues en 2017 par ce consortium. En 2018, l'entreprise Mecatis, dirigée par Samuel Vuadens, se retrouve seul avec la Micro5 et se met en quête du partenaire idéal pour continuer l'aventure. « Je ne souhaitais pas rester seul et garder le contrôle sur ce développement. Je ne souhaitais pas non plus partir sur le chemin des levées de fonds. Je cherchais un partenaire déjà bien établi en termes de ressources financières, humaines et réseau de vente, pour pouvoir pousser le produit loin et rapidement », détaille le dirigeant. En parallèle de cela, la présentation de la Micro5 au SIAMS 2016 suscite l'intérêt marqué de Jean-Daniel Lallemand, responsable des ventes pour le groupe CHIRON en Suisse. Deux ans plus tard, lors du même salon, la HE-Arc Ingénierie présente les résultats convaincants des tests d'usinage réalisés sur la Micro5 durant les deux années écoulées, et Mecatis expose la première Micro5 de pré-série. Alors persuadé d'être témoin d'une révolution, Jean-Daniel Lallemand alerte Dr. Claus Eppler et Bernd Hilgarth, respectivement CTO et CSO du groupe CHIRON, menant à une première rencontre significative à Isérables le 20 décembre 2018. Suite à des discussions fructueuses, Samuel Vuadens présente la Micro5 au siège du groupe CHIRON à Tuttlingen le 1er avril 2019. Convaincue du potentiel révolutionnaire, la direction de CHIRON décide d'acquérir l'entreprise Mecatis, devenue officiellement CHIRON Swiss SA en août 2020, marquant ainsi une étape importante dans l'histoire du groupe.
L'avènement de la micromachine ?
La Micro5 y a rapidement trouvé sa place,
comme le confirme Dr. Claus Eppler, CTO
du groupe CHIRON : « La Micro5 est notre
fer de lance en termes de développement
durable. » À l'heure actuelle, une machine
est produite tous les trois jours, mais une
réorganisation de la production devrait
permettre d'augmenter ce chiffre. « La
Micro 5 est désormais une innovation
suisse à l'échelle mondiale », affirme Dr.
Claus Eppler. L'année 2020 marque la première vente d'une Micro5 en dehors de Suisse, et les ventes globales ne cessent
d'augmenter. À cela s'ajoute une ouverture
en termes d'applications. Bien que restant
un développement axé sur le domaine horloger, la Micro5 trace doucement son chemin dans d'autres domaines comme dans
les industries médicale et électronique.
Il se passe donc beaucoup de choses,
tant à l'interne que chez les partenaires et
clients industriels : analyse du gain sur le
temps de cycle, analyse de la bavure et de
l'état de surface, développement d'applications spécifiques d'aide à l'usinage, etc.
Du côté de la He-Arc également, les développements basés sur la micromachine
continuent.
Deux exemples : le développement
d'une micro-usine pour l'industrie, et une
micro-usine ADN appelée DNAMIC, qui
permet le stockage de données dans des
protéines d'ADN.
Un intérêt grandissant, une production
en augmentation, des développements
constants, de nouveaux domaines d'applications, le futur de la micromachine s'annonce plutôt bien.
Les micromachines : de l'invention à l'innovation suisse globalisée